Ramsay
Portrait présumé d'Andrew Michael Ramsay.

Quand James Anderson fut victime de Ramsay

Publié par Patrick Négrier

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vendredi 23 novembre 2018
  • 24
    pierre noel
    30 novembre 2018 à 18h45 / Répondre

    Cet échange concerne trois personnages bien ou plutôt mal connus de notre petite histoire. Deux sont Ecossais (James Anderson et André Ramsay) et le troisième Irandais (Jonathan Swift).
    Les deux premiers ne sont connus que du cercle restreint des curieux de maçonnerie (certes, Ramsay eut son heure de gloire avec ses « Voyages de Cyrus » mais le livre tombe des mains de nos jours). Le troisième reste un géant de la littérature de langue anglaise (et pas seulement par les « Voyages de Gulliver » !).
    Deux étaient prêtres, l’un presbytérien (donc non-conformiste), l’autre de l’Eglise d’Angleterre (plus exactement de l’Eglise d’Irlande, ce qui est du pareil au même, ou presque). Le troisième, sans l’être, penchait vers le mysticisme religieux que lui avaient inculqué ses mentors (Fénelon et Mme Guyon). Ramsay ne parle que de religion dans son roman, Swift soit s’en désintéresse (dans « Les Voyages … » notamment) soit s’en moque allègrement (dans « Les Contes du bassin »). J’avoue préférer le latitudinarisme de l’Irlandais, typique de la culture anglo-saxonne.
    Deux furent francs-maçons (ce qui ne veut pas dire grand-chose). Le troisième le fut peut-être (sans que cela ajoute à sa gloire) mais rien dans ses écrits ne permet de l’affirmer. L’appartenance à la franc-maçonnerie n’avait pas à l’époque cet espèce de caractère sacré et indélébile qu’elle a acquise dans les pays d’expression française.

    • 25
      Joël
      30 novembre 2018 à 20h47 / Répondre

      Cette appréciation me semble plus que subjective : « L’appartenance à la franc-maçonnerie n’avait pas à l’époque cet espèce de caractère sacré et indélébile qu’elle a acquise dans les pays d’expression française. » Je ne l’ai jamais ressenti dans les Loges que j’ai fréquentées. Mais c’est peut-être le cas dans votre Obédience…

  • 23
    NEGRIER
    27 novembre 2018 à 23h18 / Répondre

    Sauf preuve du contraire (ce qui est toujours possible) il ne semble pas que la littérature de l’Antiquité grecque relative au mythe de Jason et de la Toison d’or mentionnait une grenouille. Il semble que l’introduction d’une grenouille dans ce mythe soit une création de Swift qui a pu l’emprunter à deux sources :
    1. le texte suivant de 1720 sur la faillite de la Compagnie du sud : A South-sea ballad or merry remarks upon Exchange-Alley bubbles. To a new tune, call’d the grand elixir, or the philosopher’s stone discover’d, Edinburgh, 1720, par Edward Ward (1667-1731). On lit en effet dans ce texte : « The lucky rogues like spaniel dogs leap into South sea water and they fish for golden frogs nor caring what comes after” ;
    2. une gravure de 1720 intitulée « The bubblers medley or a sketch of the times being Europe memorial for the year 1720” et qui représentait une grenouille cherchant à se faire aussi grosse qu’un bœuf (à l’image des investisseurs de la Bulle de 1720).
    Si la grenouille de la Lettre de 1724 se rapportait bien à la Bulle de 1720 (figure de la tentative présomptueuse d’enrichissement reliée par analogie par Swift au mythe de Jason et de la Toison d’or), on comprend alors que Swift l’ait comparée à un « démon de la mer » (la mer était impliquée dans le commerce maritime de la Compagnie de la mer du sud, et dans sa gravure sur la South sea bubble de 1720, Hogarth avait représenté le Diable), cette « mer » étant dans la Lettre de 1724 au sud puisque Swift situe la grenouille du bateau de Jason regardant « toujours face au pôle nord », c’est-à-dire depuis le sud.

  • 22
    pierre noel
    27 novembre 2018 à 18h49 / Répondre

    La South Sea Bubble date de 1720 (l’action de la Compagnie des mers du Sud, créée en 1711, explosa de manière très artificielle en août 1720 avant de s’effondrer de quasi 100% jusqu’à son plancher en décembre de la même année, d’où la ruine de nombreux actionnaires). Ce crash financier est très comparable au crash de John Law et de sa compagnie du Mississipi. Il lui est d’ailleurs contemporain (Il n’est plus connu que par le roman de Paul Féval, le Bossu interprété au cinéma par Pierre Blanchard d’abord, par Jean Marais ensuite, par Daniel Auteuil enfin)
    Jonathan Swift était retourné à Dublin en 1715 (après la mort de la reine Anne) et ne revint plus à Londres avant 1226 (année de parution des Voyages de Gulliver). Il ne semble pas avoir été affecté personnellement par le crash de la mer du Sud, qui lui inspira un de ses poèmes les plus connus (Swift était mauvais versificateur et comme l’écrit son cousin, le dramaturge Dryden, « Swift ne sera jamais un poète ! »). Déduire de « La lettre … » qu’elle fait allusion à ce crash parce qu’il existe en Amérique du Sud une espèce de grenouille dont le têtard est plus grand que l’individu adulte est une hypothèse intéressante mais elle n’est que pure conjecture.
    Voici le début de son poème de 1721 « The South Sea Project » :
    « Ye wise philosophers, explain
    What magic makes our money rise,
    When dropt into the Southern main;
    Or do these jugglers cheat our eyes?
    Put in your money fairly told;
    Presto! be gone–‘Tis here again:
    Ladies and gentlemen, behold,
    Here’s every piece as big as ten.
    Thus in a basin drop a shilling,
    Then fill the vessel to the brim,
    You shall observe, as you are filling,
    The pond’rous metal seems to swim “

  • 18
    NEGRIER
    25 novembre 2018 à 20h30 / Répondre

    Swift écrit : “faced the North pole, which gave rise to the poetical fable ; that Jason’s Frog was a little familiar or Sea demon”. Ce qui regarde face tournée vers le nord se trouve par rapport à lui au sud ; et cette grenouille qui est un « démon de la mer » situé au sud est une allusion, à travers la jakie, à la Mer du sud du South sea scheme et à sa faillite proprement démoniaque.
    Jakie or Jackie (Zool.) : A South american striped frog (Pseudis paradoxa), remarkable for having a tadpole larger than the adult, and hence called also paradoxical frog (Webster’s revised unabridged dictionary, published 1913 by G. & C. Merriam Co.).

    • 19
      Joël
      25 novembre 2018 à 20h53 / Répondre

      M. Negrier, tout ceci n’est pas clair. La grenouille de Jason indique-t-elle le nord (étoile polaire), oui ou non ?

      • 20
        NEGRIER
        26 novembre 2018 à 7h33 / Répondre

        La grenouille de Jason tient dans sa gueule une magnétite qui indique le nord uniquement en tant qu’elle sert de boussole maritime à Jason sur son bateau. Mais ce n’est pas son seul rôle. Swift dit dans le passage concerné que celui-ci est une « fable poétique ». Dans ce cas la grenouille avec sa magnétite ne doit plus être comprise à la lettre mais comme métaphore ou comme symbole. On comprend alors que la magnétite doit être comprise pour elle-même en ce qu’elle sert d’aimant à métaux pour aider Jason à trouver la toison d’or exactement comme la Grande loge de Londres gagnait de l’argent avec les réceptions en loge. Et on comprend aussi ce que j’ai rapporté au sujet de la jakie et de la Mer du sud (faillite de la Compagnie de ce nom en 1720), fait qui permet à Swift de critiquer l’appât frauduleux du gain des spéculateurs boursiers.

  • 17
    NEGRIER
    25 novembre 2018 à 17h37 / Répondre

    Swift a mentionné la magnétite (qui a le pouvoir d’attirer les métaux) dans son écrit sur le Mason word pratiqué par la Grande loge de Londres parce qu’il accusait cette dernière de tirer des réceptions en loge de l’argent (comme Jason se mit en quête de la toison d’or). Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’il mentionne la « grenouille » de Jason, il faisait allusion à la jakie qui désigne la grenouille d’Amérique du sud, cette jakie portant une magnétite étant bien évidemment une allusion à la faillite du South Sea Scheme qui engloutit en 1720 les fortunes de milliers d’Anglais dont celle de James Anderson.

  • 16
    pierre noel
    25 novembre 2018 à 16h34 / Répondre

    Pour expliquer la note 13, un extrait de la Lettre :

    « La construction navale est la branche la plus utile de cet art sacré (la franc-maçonnerie) et correspond parfaitement au mot Druide ou Travailleur du Chêne, qui n’avait aucun rapport avec le travail de la pierre avant que Jason, Druide célèbre et Franc-Maçon, utilisât la magnétite (1) quand il s’en alla en quête de la Toison d’Or… L’usage de la magnétite fut dès alors et pour longtemps gardée secrète … La grenouille artificielle de Jason portait en bouche une pierre de magnétite et elle flottait dans un vase de bois de chêne à demi rempli d’eau. Elle faisait toujours face au nord ce qui donna naissance à la fable qu’elle était le démon familier ou l’ange gardien du navigateur. Car les Francs-Maçons, de tout temps, ont été considérés comme traitant avec les esprits, d’où leur réputation dans nombre de pays d’être des magiciens ou des sorciers, comme en témoignent Merlin et frère Bacon.
    Il vaut de remarquer que Jason prit, dans le bosquet de Dodone, un des deux chênes sacrés connus pour leur pouvoir oraculaire afin de construire la quille de l‘Argo, nom de son vaisseau, réunissant de façon mystérieuse l’architecture ou maçonnerie et le sacerdoce druidique ou le pouvoir d’expliquer les oracles. »

    (1) En moyen anglais, le mot leader-stone (leadstone ou lode stone, ici déformé en load-stone) désigne une pierre de magnétite (pierre spontanément magnétisée). Un dispositif de ce type servait de boussoles primitives (Aimant se dit magnet en anglais).

  • 15
    Jacques Huyghebaert
    25 novembre 2018 à 15h17 / Répondre

    Portrait présumé d’Andrew Michael Ramsay …
    Selon A. T. Thomson cette gravure représente en réalité John Erskine, Earl of Mar
    cf. The Memoirs of the Jacobites of 1715 and 1745., Volume I,
    https://www.electricscotland.com/history/jacobites/index.htm

  • 14
    NEGRIER
    25 novembre 2018 à 13h53 / Répondre

    Si en 1739 Anderson refusa de reprendre la thèse ramsayenne de l’origine chevaleresque de la maçonnerie, c’est parce qu’en 1723 il avait soutenu la thèse inverse de l’origine maçonnique d’usages chevaleresques et religieux (« from this ancient fraternity, the societies or Orders of the warlike knights, and of the religious too, in process of time, did borrow many solemn usages »), ce en quoi il se trompait malgré tout doublement, car je ne pense pas que l’Ordre chevaleresque de la Jarretière, qui était antérieur à la première forme de maçonnerie (les Anciens devoirs apparurent à York en 1370) puisqu’il datait de 1348, lui ait emprunté des usages. L’Ordre écossais du Chardon créé en 1687 lui aurait-il emprunté des usages ? Cela reste à prouver (j’en doute fort). Quant au rapport avec les usages religieux, Anderson se trompait car ce ne sont pas les Ordres religieux qui empruntèrent leurs usages à la première maçonnerie mais inversement celle-ci aux Ordres religieux puisque dans les Anciens devoirs :
    1. l’échelle des sept arts libéraux de la République VII de Platon fut substituée à l’échelle des douze plus un degrés d’humilité du chapitre VII de la Règle de saint Benoît (+ 547) ;
    2. l’origine typologique (salomonienne) de l’art gothique fut substituée à la typologie des quatre sortes de moines du chapitre I de la Règle bénédictine ;
    3. la liste des Devoirs moraux et professionnels fut substituée à la liste des bonnes œuvres du chapitre IV de la Regula monachorum ;
    4. la description du rite maçonnique (lecture du livre des Devoirs au récipiendaire suivie du serment par lequel celui-ci s’engageait à respecter ces devoirs sous peine de subir le châtiment des parjures) fut inspirée du rite de réception décrit au chapitre LVIII de la Regula (d’abord lecture de celle-ci suivie de la « promesse » par laquelle le nouveau moine s’engageait à respecter ses trois vœux sous peine « d’être condamné par Celui dont il se serait moqué »).
    Cela Anderson n’était pas obligé de le savoir car sa culture calviniste était étrangère au monachisme.

  • 13
    NEGRIER
    25 novembre 2018 à 9h55 / Répondre

    Le fait que la relativement rare figure du « bateau de Jason » soit mentionnée à la fois dans le Tripos de 1688 et dans la Lettre de 1724 milite en faveur de l’attribution de ces deux écrits à Swift qui parle de Jason ailleurs dans son oeuvre.

  • 12
    NEGRIER
    25 novembre 2018 à 9h04 / Répondre

    Merci à Pierre Noël de mentionner la Vindication de Swift de 1730 qui avait échappé à mon investigation, comme je le remercie d’avoir naguère porté notre attention à tous sur le document de 1699 sur le Mason word (que j’ignorais). C’est apparemment le seul texte de Swift où la maçonnerie est mentionnée sous un jour positif. Dans les trois autres passages maçonniques de Swift la maçonnerie y apparaît en mauvaise part, qu’il s’agisse du Tripos de 1688, de la Lettre de 1724, ou de l’Examen de certains abus, corruptions, et monstruosités courants dans la vie dublinoise de 1732. Lorsqu’on parle de maçonnerie, il convient de toujours préciser de quel rite on parle car cela a des conséquences directes sur la manière dont on doit conduire l’analyse (il est impossible de confondre les formes des Anciens devoirs avec les formes du Mot de maçon). Il se trouve que les passages swiftiens sur la maçonnerie de 1688, 1724 et 1732 portaient tous sur le Mot de maçon (et non sur les Anciens devoirs) : c’est là leur premier point commun, le second étant que ces trois passages étaient anti-maçonniques, ce qui permet d’en tirer deux conclusions : d’une part que Swift connaissait assez bien la maçonnerie « moderne » ; et d’autre part qu’il n’était probablement pas maçon lui-même (ce qui pose le problème de l’identité de ses sources d’information). Enfin notons que dans l’écrit de 1730, qui porte sur le devoir de refuser tout esprit de parti (et donc de flatterie) et de se montrer loyal (voire plein de gratitude) envers les pouvoirs établis qui distribuent en l’occurrence les emplois, l’expression « un des nôtres » ne signifiait pas « un de nous francs-maçons » mais « un de nous qui refusons l’esprit de parti et de flatterie et sommes loyaux », la mention sitôt après du « nouveau franc-maçon » n’ayant que le statut d’une simple comparaison (comme dans l’écrit de 1732) suggérant qu’il manquait un petit quelque chose au docteur Patrick Delany comparé pour cette raison à un maçon novice.

  • 10
    pierre noel
    24 novembre 2018 à 18h36 / Répondre

    Swift et Gulliver ont enchanté notre enfance. Qui ne connait Lilliput ? Même si ce n’est pas le meilleur de l’oeuvre, qui ne se souvient du géant enchaîné sur la plage avant de sauver la reine en faisant pipi sur le château en feu !

    Jonathan Swift a-t-il écrit cette lettre « de la grande maîtresses »? W.G. Chetwode Crawley et Henry Sadler en étaient convaincus. Ils n’ont pu en persuader D.Knoop, G.W. Jones et D.Hamer qui ont estimé leurs arguments insuffisants. D’autres, surtout des auteurs français comme Patrick Négrier, considèrent cette paternité comme allant de soi. Je ne prendrai pas position dans ce débat qui n’a plus vraiment d’importance.
    Remarquons toutefois que, dans le post-scriptum, l’auteur présente ses respects à Mr Drapier, lui proposant s’il ne l’est déjà de devenir franc-maçon. Or ce Mr Drapier dont les pamphlets polémiques, « les Lettres du drapier », parurent de janvier 1724 à juin 1725 chez le même Harding, n‘est autre que Swift lui-même, ce qu’il n’a jamais caché et finit par avouer. Faudrait-il croire qu’il fit mine de s’écrire à lui-même pour cacher ce qui était secret de polichinelle ? A moins que ce ne soit pure provocation, ce qui est évidemment possible d’un homme tel que lui.
    En tout cas, l’auteur de La Lettre connaissait manifestement la maçonnerie de son temps, soit par expérience soit par ouï-dire. Sa description de la société fait une large place à l’imagination mais sous le déguisement ironique se cache une structure qui est celle des divulgations du temps.
    On n’échappe donc pas à la question : Swift fut-il franc-maçon ? Le premier qui avança cette possibilité fut W.J. Chetwode Crawley dans son Early Irish Freemasonry and Dean Swift’s Connection with the Craft, chapitre introductif des Masonic Reprints and Revelations (1898) d’H.Sadler. D’après Hashinuma Katsumi (1997), l’appartenance de Swift est plus que probable. Cette quasi-certitude repose en réalité sur plusieurs arguments dont aucun n’est cependant décisif : un discours parodique de 1688 prononcé par un de ses amis à Trinity College à Dublin lors de la séance officielle de fin d’année, la Lettre de la Grande Maîtresse de 1724, une liste de membres de la loge qui se réunissait en 1730 dans la taverne de la Chèvre à Haymarket (Londres), sans oublier une remarque anecdotique dans un écrit de 1730. On peut y ajouter l’intérêt que montra le doyen pour les réunions conviviales en général, la loge maçonnique étant d’abord un lieu de convivialité.
    Swift quitta Dublin pour Londres en 1689. Un an après l’avènement en Angleterre de Guillaume d’Orange (plus tard Guillaume III) et la fuite sans gloire de Jacques II en France (novembre 1688). Il devint dès lors coutumier de ces voyages de Dublin à Londres et retour. Ordonné prêtre de l’Eglise d’Angleterre en 1695 et fréquentant Tories et Whigs , il fut proche des milieux du pouvoir, sans jamais y prendre une part active, pendant les dernières années du règne de la reine Anne Stuart, jusqu’à l’avènement en 1714 de Georges Ier , également prince-électeur de Hanovre. Espérant un épiscopat qu’il n’obtint jamais, il fut finalement nommé doyen de la cathédrale Saint-Patrick (à Dublin) en 1713, ce qui dut être une déception pour un homme qui avait espéré plus. Cela lui assura une prébende confortable à défaut de la notoriété escomptée. En tout cas, membre de la High-Church, il ne fut jamais activement jacobite (ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une préférence pour la dynastie déchue), ne soutint pas la cause (perdue d’avance) du prétendant Jacques Stuart et resta fidèle à l’Eglise d’Irlande (l’équivalent local de l’église anglicane) jusqu’à sa mort, même si ses écrits témoignent d’une évidente tiédeur religieuse pour ne pas dire de l’indifférence habituelle en ces domaines qui caractérise les Anglais de l’époque comme ceux d’aujourd’hui.
    Il fut très actif dans la vie sociale et littéraire des 15 premières années du siècle. Il participa au club qu’avait fondé, en 1711, Henry St. John (plus tard lord Bolingbroke, 1678-1751 ). Ce club, très élitiste et politiquement engagé aux côtés de la reine Anne, était basé sur la cooptation et prévoyait un vote pour l’admission de chaque nouveau membre. Il se réunissait à l’occasion d’un dîner hebdomadaire chaque jeudi (le président qui changeait chaque semaine devait régler les frais du repas ). De douze membres, il passa à vingt-deux qui s’appelaient entre eux Frère. Swift et John Arbuthnot , un des médecins de la reine Anne, s’y connurent et leur amitié dura jusqu’à la disparition du second (en 1735).
    En 1714, Swift, Alexander Pope et John Gay créèrent un autre club, le Martin Scriblerus Club , qui se réunissait chez Arbuthnot. C’était une société littéraire qui avait notamment pour but de faire la satire de l’érudition bien-pensante à la mode, ce qui donna lieu à l’écriture des Mémoires de Martinus Scriblerus (du mot anglais scribbler, gribouilleur ou plumitif), auteur fictif dont les membres du club pouvaient utiliser le nom pour publier ce qu’ils voulaient, ce qui n’empêche pas que la plupart des écrits parus sous ce nom furent sans doute écrits par Arbuthnot lui-même. Elle cessa de se réunir à la mort de la reine Anne en 1714 mais ses membres, qui étaient les grands noms de l’Augustan littérature (Jonathan Swift, Alexander Pope, John Gay, John Arbuthnot, Henry St.John et Thomas Parnell), restèrent en contact épistolaire ou autrement à l’occasion de leurs rencontres. Le club ne disparut vraiment qu’avec leur décès. Pourquoi rappeler ces coteries sinon pour montrer que Swift n’était pas étranger à cet esprit de convivialité qui devait s’épanouir dans les clubs, dont la franc-maçonnerie est un exemple parmi d’autres ?
    Ayant abandonné toute ambition politique avec l’arrivée sur le trône de George Ier, Swift se retira à Dublin en 1715 , mais revint à Londres en 1726, année de la parution des Voyages de Gulliver. Si Swift fréquenta les milieux maçonniques, ce dut être précisément en 1726 et 1727, lorsqu’il était l’hôte de son ami Alexander Pope à Twickenham. Alexander Pope était maçon, membre de la loge qui se réunissait à la taverne de la Chèvre au bas de Haymarket (rue qui conduit de Picadilly Circus à Whitehall) et Swift aurait pu en être. Une signature assez semblable à la sienne est apposée à une liste de ses membres datée de 1730. Le nom Mr. John Swift y côtoie celui Mr. Alex Pope. Cela reste une supposition car Swift signait habituellement Jon et il pourrait ne s’agir que d’une quasi homonymie. En outre, il avait quitté Londres pour Dublin en 1728 et ne devait plus jamais revenir dans la capitale anglaise (il mourut en 1745, grabataire et aphasique depuis plusieurs années).
    Dans un écrit de 1730, A Vindication of His Excellency the Lord Carteret [lord-lieutenant d’irlande] from the Charge of favouring none but Toryes, High-Church-men and Jacobites, Swift écrit
    « Mais puisque le Docteur [Delaney, un autre doyen de Dublin], ni dans ses écrits ni dans ses sermons ni dans ses actes ni dans son discours n’a dévoilé un seul principe, Whig ou Tory ….. je le déclarerai un des nôtres, mais comme un nouveau franc-maçon qui n’a pas encore entièrement appris le dialecte du Métier (= mystère) »
    Que le mystère reste et que Swift, qui a enchanté nôtre enfance, reste ce qu’il est, un écrivain majeur du XVIII° siècle débutant.

  • 9
    René Smeets
    24 novembre 2018 à 16h59 / Répondre

    Au risque de déranger Pierre, je tiens à signaler à quiconque que cela intéresse, qu’il a publié, au sujet de la « Lettre de la Grande Maîtresse » de 1724, un article dans les Acta Macionica n°25 (2015), publication annuelle de la Loge de Recherche de la GLRB, dont il est le Rédacteur en Chef.

    Paul Lux

  • 8
    Bilboquet
    24 novembre 2018 à 6h06 / Répondre

    Bien intéressant, je ne connaissais pas

  • 7
    pierre noel
    23 novembre 2018 à 20h49 / Répondre

    Cette Lettre anonyme « de la grande maîtresse » fut publiée, à Dublin, sept ans après l’année fondatrice de 1717 et un an avant la première mention d’une Grande Loge en Irlande. Sa première édition est d’août 1724, la deuxième de 1730. Elle fut attribuée à Jonathan Swift et est incluse dans plusieurs éditions de ses Œuvres. John Harding, imprimeur à Dublin, l’édita ainsi que plusieurs œuvres anonymes de Swift (notamment les « Lettres du drapier » de la même année, ensemble de pamphlets dirigés contre la politique monétaire du gouvernement ). En 1730, un autre imprimeur de la même ville, George Faulkner (1703-1775), édita les œuvres de Swift et y inclut cette Lettre mais en remplaçant le nom de Harding par le sien . La Lettre n’apparut plus dans les éditions ultérieures des œuvres de Swift, notamment dans celle de Walter Scott qui date de 1804. Elle n’est pas reprise dans les « Œuvres de Jonathan Swift », publiées dans la collection de La Pléiade en 1965 (éd. et traduction d’Emile Pons).
    Elle fut reproduite en fac-simile par Henry Sadler en 1898, puis par John Heron Lepper et Philip Crossle dans leur « Histoire de la Grande Loge d’Irlande », I : 445-462 (1925), enfin par Douglas Knoop, Gwilym Perwedur Jones et Douglas Hamer… dans les « Early Masonic Catechisms (« 1° édition en 1943, augmentée en 1969, pp. 229-240). Elle s’y trouve sans nom d’auteur, les éditeurs n’étant pas convaincus qu’elle soit de Swift.

  • 6
    pierre noel
    23 novembre 2018 à 17h28 / Répondre

    Tout maçon sait (ou devrait savoir) que le mont Moriah, site du temple de Jéusalem et avant lui du sacrifice d’Isaac et de la vision de Jacob, est évoqué dans bien des rituels et écrits maçonniques (c’est le cas des rituels de Royal Arch notamment et de façon anecdotique le nom du chapitre où j’ai été exalté).
    Plus précisément, la tradition « Harodim » d’où descend le premier degré de L’Ordre Royal d’Ecosse, l’Heredom de Kilwinning, n’est pas d’origine écossaise mais semble être apparu dans le triangle Durham-Sunderland-Swalwell (NE de l’Angleterre, au sud de Newcastle-upon-Tyne). C’est de cette région que viennent les plus anciens rituels qui se retrouvent dans l’Ordre Royal actuel (notamment une pièce en doggerel verses, lue à la création d’une loge à Gateshead en 1731) De là ils se sont répandus à Londres (ils y étaient bien connus dès 1740 et il y des raisons de penser que les fameux Scotch Masters n’étaient autres que ces Harodim aussi appelé Highrodiams) avant qu’un certain John Mitchell, qui disait avoir été reçu Rose-Croix en France, ne les introduise en Ecosse vers 1760. Jan Snoek tente de démontrer (beaucoup pensent qu’il y arrive !) que cette tradition Harodim a donné aussi naissance aux rituels d‘adoption dans plusieurs articles documentés (dont « Le Rite d’adoption et l’initiation des femmes en franc-maçonnerie », Dervy , 2012).
    La raison d’être de l’Ordre, encore rappelée aujourd’hui au début de la réception, était de « corriger les erreurs et réformer les abus qui avaient été introduits dans la maçonnerie de St-Jean » par les Dr. Anderson et Désaguliers (la relative déchristianisation).

  • 5
    Jean_de_Mazargues
    23 novembre 2018 à 15h50 / Répondre

    Merci beaucoup. Très intéressant et instructif.

  • 4
    NEGRIER
    23 novembre 2018 à 15h02 / Répondre

    Le rituel de l’Ordre royal d’Ecosse cité par Pierre Noël est extrêmement instructif. Le mont Moriyah, que Gen. 22 présentait à l’origine comme le lieu du sacrifice d’Isaac par son père Abraham, fut ensuite présenté (et c’est là le point essentiel retenu par le présent rituel maçonnique) par I Chro. 3,1 comme étant le site sur lequel on bâtit le temple de Salomon. Or en présentant le site du temple de Salomon comme l’emplacement de l’établissement de l’Ordre de Hdm de Kilwinning, ce rituel rattache Kilwinning au temple de Salomon, confirmation de la tradition selon laquelle c’est bien la loge de Kilwinning qui créa le Mot de maçon au cours duquel on communiquait les noms Bo’az et Yakin.

  • 3
    pierre noel
    23 novembre 2018 à 13h14 / Répondre

    La lettre de 1724, écrite par Swift ou un autre, affirme que la loge épisodique qui se réunit à Omagh était une branche de la loge écossaise Saint-Jean de Jérusalem, établie à Kilwinning et descendant de celle du temple de Salomon.
    « La branche de la Loge du Temple de Salomon, ensuite appelée Loge de Saint-Jean de Jérusalem sur laquelle notre Gardien tomba très heureusement est, je peux aisément le prouver, la plus ancienne et la plus pure qui soit actuellement sur terre : la vieille et célèbre loge écossaise de Kilwinning dont tous les rois d’Ecosse ont été grands maîtres sans interruption depuis l’époque de Fergus ».

    Elle réunit Kilwinning, le temple de Salomon et la loge de Saint-Jean de Jérusalem. Cette-ci serait bien antérieure à l’ordre chevaleresque du même nom, dit aujourd’hui de Malte. Cela suggère deux ordres distincts, le plus ancien étant la loge de Kilwinning dont les rois d’Ecosse étaient Grands Maîtres depuis plus de deux cents ans. La référence à Kilwinning, habituelle dans la tradition maçonnique, renvoie à une bourgade, bien réelle, située dans le North Ayrshire à quelques miles de la côte ouest de l’Ecosse sur la rivière Garnoc. Elle joue un rôle mythique dans l’histoire de la franc-maçonnerie écossaise et l’actuelle Loge Kilwinning n°0 de la Grande Loge d’Ecosse se prétend la plus ancienne et la première du royaume. Les Statuts Schaw de 1598 et 1599 lui reconnaissaient déjà 200 ans d’existence mais ne la plaçaient qu’en deuxième position, après Edimbourg mais avant Stirling.
    Son nom vient de saint Winning, un moine missionnaire mieux connu sous le nom de Finnan, qui venant d’Irlande aurait débarqué sur les rives du Garnock en 715 et créé une église et un monastère, d’où le nom Cella Winni, chapelle ou ermitage de Winning. Vrai ou faux ? En tout cas, il semble bien que la région ait été christianisée par des moines Colombanistes, connus sous le nom de Culdéens. Les ruines d’un monastère y sont encore visibles, remarquables par la présence de nombreuses marques de maçon, d’où la notion qu’il s’agit du berceau de la franc-maçonnerie en Ecosse, sans qu’aucune preuve documentaire ne vienne étayer cette origine légendaire. Au XII° siècle, une abbaye bénédictine y fut élevée par Hughes de Morville, un français en provenance de Normandie, sur des terres accordées par le roi David Ier (1083-1153), l’un des plus importants patrons monastiques de son temps. Il fonda plus d’une douzaine de nouveaux monastères au cours de son règne, soutenant divers nouveaux ordres, comme les augustins et les cisterciens. Les premiers occupants de celui de Kilwinning furent des bénédictins Tironiens (ou Tyronisiens) dont la maison-mère était située en France à Tiron, dans le Perche, près de Nogent-le-Rotrou. Ces moines fondateurs se seraient ultérieurement fondus avec les Culdéens qui les précédaient. L’abbaye prospéra jusqu’à l’abolition des monastères par Henry VIII en 1538, avant la Réforme qui fut particulièrement radicale en Ecosse. Ce devait être une idée ancrée, au XVIII° siècle, que les rois d’Ecosse avaient favorisé l’introduction d’abbayes et présidé des fraternités de constructeurs attachés à celles-ci. Le parrainage royal remonterait ainsi au V° siècle sans interruption.
    Ces moines fondateurs se seraient ultérieurement fondus avec les Culdéens qui les précédaient. L’abbaye prospéra jusqu’à l’abolition des monastères par Henry VIII en 1538, avant la Réforme qui fut particulièrement radicale en Ecosse. Ce devait être une idée ancrée, au XVIII° siècle, que les rois d’Ecosse avaient favorisé l’introduction d’abbayes et présidé des fraternités de constructeurs attachés à celles-ci. Le parrainage royal remonterait ainsi au V° siècle sans interruption.
    La diffusion de cette tradition depuis l’Ecosse, en Angleterre puis en Irlande et en France doit être soulignée, par la similitude des textes d’abord, par leur permanence ensuite.
    1) Le pasteur Anderson, natif d’Aberdeen, écrit (à Londres) dans les Constitutions des Maçons Francs et Acceptés de 1723 :
    L’exemple royal ne fut pas négligé par la noblesse, la gentry ou le clergé d’Ecosse qui s’unirent en tous points pour le bien du Métier et de la Confrérie, les Rois étant bien souvent Grand Maître. (p. 37)
    2) La lettre « de la Grande Maîtresse » de 1724 affirme que la loge qui se tenait à Omagh était une branche de la loge écossaise Saint-Jean de Jérusalem, établie à Kilwinning et descendant de celle du temple de Salomon.
    3) Andrew Michael Ramsay (1686-1743), lui-même natif de l’Ayrshire, soulignera le rôle de Kilwinning dans son discours de 1737, destiné à l’assemblée de la Grande Loge de France, lorsqu’il en vint à parler des origines de l’ordre maçonnique. Il attribuait les fonctions de grand maître non à un roi d’a Ecosse mais à un de ses proches.
    « Jacques Lord Steward d’Ecosse fut Grand Maître d’une Loge établie à Kilwinnen dans l’Ouest d’Ecosse en l’an 1286, peu de temps après la mort d’Alexandre III Roi d’Ecosse, et un an avant que Jean Baliol montât sur le Trône. Ce Seigneur Ecossois reçut Free-Maçons dans sa Loge les Comtes de Glocester et d’Ulster, Seigneurs Anglois et Irlandois. »
    Comment Ramsay l’aurait-il mentionné si la légende n’avait été répandue en Angleterre et en Ecosse ? Eduqué à Ayr et Glasgow, il avait quitté l’Ecosse en 1710 pour ne plus y jamais revenir. Il passa par la Hollande puis s’installa en France où il fut fait chevalier de Saint-Lazare par le Régent en 1723, fréquenta la cour du Prétendant jacobite, fut amnistié par le roi George II et put séjourner à Londres en 1729 et 1730 (année où il fut initié à la loge La Corne, une des quatre loges fondatrices de la Grande Loge de Londres et de Westminster). Il revint à Paris cette année-là et mourut en 1743, sans avoir revu l’Ecosse. Où a-t-il connu la légende ? Était-ce lors de son séjour à Londres ou durant son enfance en Ecosse, à quelques miles de Kilwinning ?
    4) Le rituel de l’Ordre Royal d’Ecosse (1) dans son premier grade dit d’Heredom et de Kilwinning la cite comme siège de l’ordre, après Jérusalem et Icolmkill.
    D. En quel lieu le grand et Sublime ordre de H D M de Kilwinning fut il premièrement établi? / R. Sur le saint sommet du mont Moriach , dans le royaume de Judée…/ D. Où fut il ensuite établi? R. D’abord à Icolmnkill (2) et ensuite à Kilwinning où le roi d’Ecosse présida en personne comme Grand Maître.

    1) Ce rituel est d’origine purement anglaise, mais il fut « écossisé » après son implantation en Ecosse.
    2) Une île de l’ouest de l’Ecosse, dans les Hébrides.

  • 1
    ABIBALA
    23 novembre 2018 à 11h10 / Répondre

    Bonjour,

    Tous ces compléments d’information sont très intéressants et donnent quelques lumières nouvelles. Je suis persuadé qu’un jour viendra nous éclairer sur « l’histoire de la pensée maçonnique ».

    Pour l’instant nous sommes plutôt orientés vers des recherches ouest et nord ouest de l’Europe. C’est un problème de contingences par rapport aux preuves.
    Je viens de revoir la guerre de trente ans et le traité de Westphalie et je ne peux pas m’empêcher de croire que les écrits Roses Croix de 1614-15-16, n’aient pas diffusé. la pensée maçonnique avait surement place dans une Europe à l’est du Rhin et des connexions, des rencontres pouvaient peut-être exister entre « maçons » de ces 2 Europes.
    La guerre de trente à certainement tout détruit mais des écrits, émanant des savants de l’époque, mathématiciens, philosophes, physiciens et des grands de ce monde, qui déjà communiquaient certainement déjà sur des thèmes maçonniques peut-être même en se réunissaient dans des salles pour parler entre-eux, existent?
    Alors peut-être qu’un jour, des archives d’outre Rhin nous permettront de parfaire la connaissance de la pensée maçonnique.
    Félicitation à tous ceux qui cherchent et accumulent les éléments d’un puzzle qu’il faudra reconstituer un jour.

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