Les disciples d’Hermès, les statuts Schaw

Publié par Pierre Noël
Dans Divers

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samedi 10 avril 2021
  • 8
    pierre noel
    15 avril 2021 à 20h21 / Répondre

    Ce qu’on dit peu mais qui n’est pas sans importance, c’est qu’après la mort de Schaw (1602), ses successeurs se sont désintéressés du problème. Plus personne n’a parlé de l’art de mémoire !
    Les loges écossaises ont continué à exister (une vingtaine) mais plus s’occuper des injonctions de leur Surveillant Général

  • 5
    Jean Mabuse
    11 avril 2021 à 11h09 / Répondre

    Très intéressant article, merci.
    Je laisse un extrait d’une de mes planches sur le sujet pour apporter ma pierre à l’édifice.

    William Schaw introduit donc la technique de l’art de la mémoire sous l’influence de son ami Alexander Dickson, chambellan de la reine Anne du Danemark, à la cour d’Écosse.
    La deuxième version des Statuts Schaw prescrit expressément aux officiers de la Loge de contrôler les connaissances de tout apprenti et compagnon (chacun à son niveau) concernant l’art de la mémoire et la science y relative. Tout candidat à la Maîtrise devait aussi présenter un essai sur l’art de la mémoire avant de pouvoir y être admis. On peut donc affirmer que d’après ces Statuts la Loge était conçue non seulement comme le lieu de réunion des Maçons, mais surtout comme un espace initiatique où l’on apprenait l’art de la mémoire et sa science.
    Or Alexander Dickson est le disciple et le défenseur d’un incroyable personnage, Giordano Bruno, un italien qui depuis le mois d’avril 1583 séjourne en Angleterre et se rend à Oxford, où il donne des conférences à l’Université. Ses conférences et la publication de ses écrits soulèvent des polémiques. Bruno se heurte d’abord au théologien puritain John Underhill (qui deviendra l’année suivante vice- chancelier de l’Université d’Oxford) dont il critique avec des expressions très crues l’ignorance et la présomption. Ensuite il est accusé par les anglicans (parmi lesquels George Abbot, qui allait devenir archevêque de Canterbury) d’avoir repris dans ses leçons sur l’immortalité de l’âme, presque mot par mot et sans les citer, des pages entières des œuvres de Marsile Ficin. A cette accusation de plagiat s’ajoute celle encore plus grave d’avoir  » fait la tentative de vouloir faire tenir debout l’opinion de Copernic d’après laquelle la terre tourne et les cieux restent immobiles, alors qu’en vérité c’était plutôt sa tête qui tournait et son cerveau qui ne restait pas immobile.  »
    En réalité, Bruno donnait de la théorie héliocentrique de Copernic une interprétation toute personnelle, qui la rattache à travers les œuvres de Ficin aux doctrines philosophiques de Pythagore, Parmenide et Anaxagore, dont il écrit en 1583 dans une lettre au vice-chancelier de l’Université d’Oxford que les doctrines sont :  » les plus conformes à notre raison et à nos sens.  »
    Parmi les ouvrages que Bruno publie en Angleterre, il y en a deux qui vont retenir plus particulièrement notre attention, il s’agit de deux textes en latin sur l’art de la mémoire, qui constituent la suite de ceux sur le même sujet qu’il avait déjà publié à Paris auparavant. Ces traités sur l’art de la mémoire, intitulés Explication des trente sceaux et Le sceau des sceaux,  » nouvelle religion « , dont Bruno se présente comme le héraut : « celui qui réveille les âmes dormantes, maîtrise l’ignorance présomptueuse et récalcitrante, proclame une philanthropie universelle.  »
    Il rédige une méthode qui consiste à s’imaginer un édifice, vaste et complexe, dont on parcourait les pièces une à une. Pendant ce trajet on mémorisait des images qui devaient être rattachées à la fois à chaque pièce ou lieu de l’édifice et à chaque point précis du discours dont on voulait se souvenir. L’ordre dans lequel les images étaient placées dans cet édifice imaginaire devait correspondre exactement à l’ordre des différents points du discours, l’orateur n’avait donc plus qu’à parcourir dans son imagination l’édifice ainsi conçu pour que chaque image lui rappelle le point dont il devait parler.
    Selon l’historienne Mary Carruthers dans son « Le livre de la mémoire. Une étude de la mémoire dans la culture médiévale » [trad. Française] 2002, au Moyen Âge, cette technique ancienne fut modifiée, probablement sous l’influence des traditions médiévales juives, en prenant comme lieu de référence des édifices décrits dans la Bible, et idéalisés : le Tabernacle, le Temple de Salomon, la vision du temple du Livre d’Ézéchiel ou la Nouvelle Jérusalem de l’Apocalypse. Cette architecture, imaginaire dans certains cas, aurait influencé la construction des édifices médiévaux réels, tels que les monastères, les églises situées sur les pèlerinages et les cathédrales

    L’imagination opère un lien entre l’objet matériel et le concept intellectuel, entre le sensible et l’intelligible, au moyen de l’image symbolique, participant des deux. Giordano Bruno constate : « Il y a je ne sais quelle analogie, claire et prouvée, entre les choses supérieures et la matière inférieure, ce qui fait que les faveurs divines, incitées par certaines images et similitudes, descendent et se communiquent ». C’est donc que l’image symbole n’est pas seulement une figure passive, mais bien opératoire, puisqu’elle contribue à la circulation des énergies intellectuelles entre haut et bas. C’est pourquoi la recherche de Bruno s’oriente vers l’élaboration d’un langage d’images. Ces images sont des « ombres » ou reflets de Dieu dans la matière, et attirent les pouvoirs célestes. Les images talismaniques choisies par G. Bruno sont les images des étoiles à imprimer dans sa mémoire. A l’intérieur de nous-mêmes, les images archétypales existent sous forme d’un chaos confus. La mémoire ordonnée sort les images du chaos, restaure leur ordre et rend à l’homme ses facultés.
    Quoi qu’il en soit, l’usage que Bruno fait de l’art de la mémoire est très différent de celui qu’on en avait fait dans l’Antiquité et au Moyen Age. Il ne s’agit plus d’un outil de rhétorique, mais il avait été transformé à travers la pensée néoplatonicienne en un art hermétique et occulte. Le premier à avoir utilisé l’art de la mémoire dans ce sens a été l’italien Giulio Camillo (mort en 1544), qui a construit une maquette compliquée en bois d’un théâtre de la mémoire, basé sur un théâtre classique romain décrit par l’architecte Vitruve, mais avec des influences bibliques, puisque nous y retrouvons les piliers du temple de la sagesse du roi Salomon !
    II s’élevait sur 7 allées dénommées « les sept piliers de la maison de la sagesse de Salomon chacune représentant une des 7 planètes : au centre Apollon et, disposées autour en hémicycle, les travées de Mars, Jupiter, Saturne, Vénus, Mercure et de la Lune. Dans chaque allée, il y avait 7 portes distribuant 49 emplacements de base évoquant chacun une partie du savoir.
    Dans les divers endroits de cet édifice, Camillo avait placé des images considérées comme des talismans magiques qui pouvaient attirer les influences du soleil et de la lune, des planètes et des étoiles, en accord avec la théorie des correspondances entre le Macrocosme et le Microcosme attribuée à Hermès Trismegiste (« Ce qui est en Bas est comme ce qui est en Haut »). Ainsi le théâtre de la mémoire devenait l’image vivante du Cosmos et à travers lui on pouvait magiquement agir sur l’Univers. Bruno considère aussi l’art de la mémoire comme un art hermétique et présente les trente sceaux dont il est question dans le titre d’un des deux ouvrages latins publiés à Londres comme étant les trente  » concepts des idées « , les trente  » intuitions des ombres « , qui par la magie du pouvoir des astres devaient permettre au philosophe de se relier à l’âme du monde et de remonter ainsi à l’unité divine.
    Ces sceaux sont en fait une adaptation personnelle des images des décans des signes du zodiaque, tels qu’ils avaient été développés dans l’astrologie égyptienne de l’antiquité tardive et dont nous pouvons voir encore aujourd’hui l’interprétation qui en avait été faite à la Renaissance dans les fresques exécutées pour le duc Borso d’Este au Palais de Schifanoia à Ferrare`, où à chaque représentation des mois de l’année correspondent des dieux de l’antiquité classique, un signe du zodiaque et trois images des décans (par ex. au mois d’août correspondent Jupiter et Cybèle assis sur un char tiré par des lions et les trois décans du signe du Lion, représentés par un homme sauvage aux habits lacérés qui dévore de la viande crue, un sauvage noir avec arc et flèches assis sur le dos d’un lion et un homme en habits de savant en compagnie d’un chien assis sur les branches d’un arbre).
    Cette interprétation toute personnelle de l’art de la mémoire par Bruno suscita presque immédiatement une polémique en Angleterre.
    Mais Bruno n’avait pas que des ennemis et il fut défendu par cet écossais vivant à Londres, Alexander Dickson (1558-1604), qui avait étudié à l’Université de St Andrews en Écosse. Se basant sur l’ouvrage de Bruno « Les ombres des idées », qui était paru en 1582, Dickson publia à son tour l’année suivante un traité intitulé « L’Ombre de la raison » où il présentait l’art de la mémoire dans un contexte hermétique de dérivation égyptienne. Il fut pour cela attaqué par des universitaires de Cambridge et dénoncé pour atteinte à la religion.
    En retour, Bruno fit l’éloge de Dickson dans les quatre dialogues italiens intitulés « Cause », « Principe » et « Unité », publiés à Londres à la fin de la même année, en le présentant comme « ce docte, honnête, aimable, bien né et tellement fidèle ami Alexander Dickson, que le Nolain [c’est à dire Bruno] aime comme la pupille de ses yeux . »
    C’est donc le temple de Salomon, outil pratique de l’art de la mémoire de Giordano Bruno qui par Dickson arrive à William Shaw et est transmis aux maçons d’Ecosse malgré l’hostilité de l’Eglise.

    A noter aussi que selon France A.Yates, Giordano Bruno aurait été à l’origine du mouvement au départ potache, des RC.

    • 6
      Pierre Noël
      11 avril 2021 à 12h16 / Répondre

      # 5 Bravo ! Superbe commentaire, bien meilleur que mes modestes efforts.

      J’avoue que je voudrais les voir à l’oeuvre sur le pavé mosaïque, les experts auto-proclamés, auto-suffisants, désabusés, forts de leur ‘néoplatonisme de salon, se servir de l’art de mémoire pour communiquer leur science insigne aux générations à venir, ébahies et silencieuses !

      • 7
        Pierre Noël
        11 avril 2021 à 12h20 / Répondre

        Mes dernières lignes ne concernent pas Mabuse !

  • 4
    Pierre Noël
    11 avril 2021 à 10h16 / Répondre

    Les « Noces Chymiques … », c’est d’abord un merveilleux roman d’aventure et de découverte, une vision infinie et un rêve dont on voudrait qu’il ne se termine jamais. Comme il est Imaginaire et onirique, on y trouve des chemins inconnus, des oubliettes redoutables et des châteaux ensorcelés, des belles dames, des rois et des empereurs, un maure démoniaque, un roi et une reine unis dans la mort mais renouvelés par leur union, une mer océane et une tour de l’Olympe sur une île isolée, avec à chaque étage une allégorie chymique. Tout cela est découvert par un vieillard chenu, vêtu de blanc et coiffé de roses, pendant la semaine sainte de l’année 1589, si je ne me trompe. Il n’en retire ni honneur ni contentement mais une sain(t)e indifférence qui lui permet de devenir le gardien de ces mystères.
    Ce roman est dans la veine des voyages au pays de nulle part, nombreux dans la littérature occidentale, depuis « L’Histoire Véritable d’un voyage à la lune » de Lucien de Samosate, « La Navigation de saint Brendan », « l’Utopie » de Tomas More, « La Cité du Soleil » de Campanella, « Les Etats de l’empire et de la lune » de Cyrano de Bergerac, le « Pilgrim’s progress » de John Bunyan et bien d ‘autres. Il n’est pas sans écho dans les films de Bunuel et l’œuvre de Magritte.
    Ecrit en allemand du XVII° siècle, donc difficile d’accès, il fut traduit en anglais dès la fin du siècle. Bernard Gorceix, outre un commentaire remarquable, l’a superbement traduit et publié aux PUF (en 1970). Il vaut bien plus que les considérations d’usage sur la déchéance de la maçonnerie moderne et l’incompréhension de ses adhérents.

  • 2
    Jacques Huyghebaert
    10 avril 2021 à 13h46 / Répondre

    « William Schaw fut nommé maître des ouvrages du roi d’Ecosse en 1589 »
    — Il me semble que sa nomination remonte au 21 décembre 1583. En fait de janvier 1589 a fin mars 1590 William Schaw effectua un long séjour au Danemerk et en Norvege ayant pour but de ramener en Écosse Anne, fille du roi de Danemark Frédéric II, agée de 14 ans seulement lors de son mariage (par procuration) avce le roi Jacques VI

  • 1
    Luciole
    10 avril 2021 à 13h43 / Répondre

    L’humour du 31 novembre n’aura échappé à personne.

    • 3
      Pierre Noël
      10 avril 2021 à 18h00 / Répondre

      Les tourtes de cygne noir, les œufs pochés de phénix, les gigots de licorne … non plus.

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